Qu'est-ce que l'Institut Eléazar ?

Fondé le 11 août 1990, par Serge Caillet, sous la présidence d'honneur de Robert Amadou (1924-2006), l'Institut Eléazar fêtera ses 20 ans cette année.
L'Institut Eléazar, qui n'est pas un ordre initiatique, rassemble dans l'indépendance des hommes et des femmes de désir soucieux d'étudier en toute liberté l'oeuvre de Martines de Pasqually (1710 ?-1774) et de Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803).
Ce blog de l'Institut Eléazar est principalement consacré à l'actualité du martinisme : publications, études, découvertes, manifestations...

Ce blog complète le site officiel de l'Institut Eléazar : www.institut-eleazar.fr

mercredi 20 janvier 2010

Le rituel de l'Ordre martiniste de Téder


Faute d’un « original » que l’on rechercherait en vain, et pour cause, sous la plume de Louis-Claude de Saint-Martin, point de rituel martiniste, au sens où on l’entend généralement, qui exclut par conséquent les rituels de l’Ordre des élus coëns, avant la fin du XIXe siècle, c’est-à-dire avant la fondation de l’Ordre martiniste par Papus, en 1887-1891. Un premier rituel, de forme simple, a été diffusé par Papus lui-même, premier grand maître, dans les Cahiers de l’Ordre réservés aux loges régulières et aux initiateurs (réédités en fac-similé par Robert Amadou, dans les Documents martinistes, n° 14, Paris, Cariscript, 1980). On le retrouve en 1895, dans le Lucifer démasqué de Jean Kostka, autrement dit Jules Doinel, qui avait puisé à la meilleure source.


Dans le fonds Papus conservé à la Bibliothèque de la ville de Lyon, des ébauches d’autres rituels attendent encore les chercheurs. Sans doute ont-ils été utilisés ou expérimentés en leur temps, par la bande à Papus où l’on ne manquait ni d’imagination ni d’enthousiasme ! En 1912, l’étrange Dimitri Sémélas, que Papus avait agrégé au cénacle de ses proches collaborateurs, produira à son tour un rituel martiniste, validé par le grand maître de l’Ordre, pour l’usage de sa loge Temple d’Essenie, à l’orient du Caire. Il est très différent des rituels précédents et témoigne aussi de la culture de son auteur, voire de quelque tradition recueillie par lui, en lien avec les Frères ou rose-croix d’Orient.


Avant la Grande Guerre, Charles Détré, dit Téder, adjoint de Papus, publie à son tour un Rituel de l’Ordre martiniste dressé par Téder … sous la direction du Suprême Conseil (Dorbon aîné, 1913). Le voici réédité par les Editions de la Tarente www.latarente.com, qui font ainsi œuvre utile. Ce nouveau rituel martiniste, tout à fait officiel, et d’ailleurs rendu obligatoire à compter du 3 août 1913, diffère radicalement des précédents, du moins des précédents rituels de langue française. Car il correspond en réalité à une version française du rituel américain rédigé par le Dr Edouard Blitz, et publié par celui-ci en 1896 ! Il est vrai qu’après avoir milité en vain auprès de Papus pour un retour aux sources, Blitz avait été contraint à l’indépendance, en 1902.


En 1913, d’autres temps étaient venus, qui semblaient donner raison au Dr Blitz. Car les sources «martinistes» du grand profès Edouard Blitz étaient maçonniques (ce pourquoi Jean Bricaud l’enrôlera un peu plus tard dans les ancêtres putatifs de sa lignée coën fictive, mais c’est une autre histoire). Si Blitz semblait avoir eu raison trop tôt, l’adaptation de son rituel était désormais de circonstance, à cause des négociations engagées entre Papus, au titre de l’Ordre martiniste, et Edouard de Ribaucourt, au titre de la Grande Loge indépendante et régulière (qui deviendra la GLNF), en vue du rapprochement du martinisme et de la franc-maçonnerie. La fondation de la fameuse loge La France s’inscrit dans ce contexte particulier. La publication du rituel martiniste le plus maçonnisant de l’histoire aussi.


Ce rituel, est-il bon ? est-il mauvais ? Il est en tout cas aussi éloigné que possible du projet initial de Papus et, par conséquent, de son premier rituel. Et il est aux antipodes de la pensée et de la pratique du Philosophe inconnu, ai-je besoin de le dire ? Mais il témoigne d’une orientation de l’Ordre martiniste, sous l’influence de Téder, qui en deviendra quelques années plus tard le grand maître, avant Jean Bricaud qui, sur ce point, lui restera fidèle. En contribuant à la confusion, ce rituel pose donc la question du rapport de l’Ordre martiniste avec l’Ordre maçonnique. Il pose la question et il y répond mal ! Car, en singeant la franc-maçonnerie, l’Ordre martiniste que Papus situait initialement en dehors de celle-ci, n’a rien d’autre à y faire qu’à perdre son identité en renonçant à ses spécificités.


Et pourtant, des rapports de bon voisinage, dans une union des cœurs orientés à l’esprit – à l’Esprit – n’en demeurent pas moins possibles, et même très souhaitables, dans le respect des différences, tandis que d’aucuns qui souhaitent conjuguer en leur intime initiation martiniste et initiation maçonnique verront naître ainsi les fruits d’un très heureux mariage.


Sous réserve d’en évacuer aussi l’« esquisse historique du rite » (pp. 19-21), sans le moindre fondement, ce rituel lui-même, en dépit d’une maçonnisation déplacée, est pourtant bien capable d’instruire par sa lecture. Il témoigne enfin d’une période, certes révolue, qui n’en fut pas moins capitale dans l’histoire de l’Ordre martiniste au temps de Papus et après lui.


Serge Caillet


mercredi 6 janvier 2010

Les Cahiers verts


Le dernier numéro (4, 2009) des Cahiers verts, organe du Grand Prieuré des Gaules, vient de paraître. Trois articles ont plus particulièrement retenu mon attention : « la science initiatique de l’homme » sous la plume de l’ami Jean-Marc Vivenza, qui correspond à une communication faite en 2008 lors d'un colloque en Avignon; un dossier sur le « haut et saint ordre » et une correspondante inédite de Guénon.

Qu’est-ce que le « haut et saint ordre » allégué dans certains textes du rite écossais rectifié ? C’est une société idéale. Rien d’une classe secrète, encore que d’aucune classe secrète (qui perd malheureusement son âme en s’affichant et se vulgarisant) n’y soit pas tout à fait étrangère. Rien non plus, c’est l’évidence, d’un ordre structuré, fut-il celui des élus coëns. Au vrai, le haut et saint ordre rejoint, à moins que ne l'y identifie, l’Eglise intérieure décrite par Lopoukhine et Eckartshausen, et la Société des Indépendants mise en scène dans le Crocodile de Saint-Martin (qu’on se gardera de confondre avec toute succursale contemporaine qui ne peut être, au mieux, que son incarnation temporaire et imparfaite). Le haut et saint ordre est l’ordre essentiel et intemporel des élus de l’Eternel qui sont les vrais rose-croix. Depuis toujours et à jamais. Mais il advint cependant que cet ordre s’incarne et se manifeste dans l’histoire des hommes, et le rite écossais rectifié, franc-maçonnerie parfaite, ou aspirant à la perfection, aux yeux des frères dudit régime, incarne donc le « saint ordre », selon Jean-Baptiste Willermoz et les siens. Il l’incarne sans confusion ni séparation, en filiation spirituelle, comme d’autres sociétés humaines avant lui, où les fondateurs du rite écossais rectifié ont vu les esséniens et l’Ordre du Temple. Prenons garde : en l’espèce, se serait pécher contre l’esprit que de confondre la source et les cours d’eau, voire l’ombre projetée au sol avec la lumière qui en est à l’origine.

Alors qu’il vivait au Caire, René Guénon eut de nombreux correspondants – et informateurs, parfois quasiment dans le sens policier du mot. Nombreuses sont ses lettres publiées ou exploitées ces dernières décennies. Et il en reste encore beaucoup qui ne l’ont pas été, conservées dans des collections privées. Mais voilà que Michel Chazottes a eu la surprise de découvrir « par hasard » 93 lettres de Guénon à son ami provençal Tony Grangier, vendues par un marchand ignorant vraisemblablement tout de l’auteur. Michel Chazottes en a tiré la matière d’un article « René Guénon et la Provence - Correspondance inédite avec son ami Tony Grangier », qui apporte quelques éléments inédits sur Guénon, dont on découvrira ici un visage un peu plus humain que d’ordinaire. Mais ces lettres montrent surtout, une fois de plus, comment celui-ci se renseignait sur à peu près tout ce qui intéressait l’actualité du microcosme initiatique français. Rien de bien nouveau hélas, en dépit d’une belle trouvaille dont il faut féliciter Michel Chazottes, qui en profite pour tirer de l’oubli Tony Grangier.


Serge Caillet